Works-shop scénaristique: La tête d'aurochs de Vasile Voiculesco, retranscrit en film par Lucian Pintilie (une partition sans nom en langue roumaine)
Valerian Sava
Il est risqué de publier un texte comme celui-ci, sans une préface d'avertissement. En l'occurrence, La tête d'aurochs. Scénario de Lucian Pintilie, d'après Vasile Voiculesco se revendique comme ayant le statut d'exception à la règle. Car Pintilie est un auteur qui peut se limiter à l'unique terme de « scénario » et à la singularité de sa signature. D'ailleurs, en langue roumaine, on ne peut pas donner de nom à son texte, car elle ne possède pas encore un équivalent pour le terme de screen-play, sceggeniatura etc., etc. Ce texte n'est pas non plus une simple adaptation cinématographique d'après la nouvelle originale. Dans la lignée d'un Jean Georgesco (qui a recomposé ab ovo, mais de manière fidèle aussi, respectivement en 1941-1943 et en 1951-1952, « Une nuit orageuse » et les esquisses carageliennes « La chaînes des faiblesses », « La visite » et « Le métayer »), Pintilie procède en se mettant dans la peau de Voiculesco comme si ce dernier avait été lui-même cinéaste. Comme dans « Pourquoi sonnent-ils les cloches, Mitică? », ou « Le chêne », l'action se superpose parfaitement a celle de l'opus littéraire, l'invention sur ce plan étant imperceptible. Les innovations en matière d'action sont d'ailleurs l'apanage des mises en scène fastidieuses, dynamisées par des extérieurs « spécifiques à la cinématographiques », dont la filmographie nationale est pleine jusqu'à satiété. Le cinéma de Pintilie est aux antipodes de tout cela. Il mène à l'ultime conséquence même les indications de l'écrivain, en cantonnant délibérément l'action du futur film dans le périmètre d'une ancienne « salle de classe d'une école ukrainienne » - « un rectangle de 10 m sur 6,60 », en précisant que « on ne va jamais sortir de cet espace de 10 sur 6 » pendant les 35-40 minutes de la durée de ce moyen-métrage.Il est certain que la responsabilité d'un tel pari filmique « impossible » est accessible seulement à un virtuose de l'espace scénique théâtral. Et Pintilie en est un. Mais combien de vivacité éminemment filmique, en même temps, dans cet espace! Un espace façonné avec une ingéniosité fabuleuse, autant par l'ameublement et les accessoires animés de l'intérieur que par les fenêtres cassées et pas encore obturées avec des planches (en plein hiver de la guerre). Ainsi, on peut voir non seulement ce qui se passe dans la cour de l'ancienne école, mais aussi, avec ou sans jumelles, « à perte de vue on découvrira, dans la lumière de l'aube, la steppe sans fin, angoissante ».
Une nouvelle acception du remake: rewriting V. Voiculesco
Sans esquisser ici une avant chronique, essayons de passer en une revue préliminaire minimale certains aspects qui se préfigurent comme nouveautés dans l'écriture filmique de l'œuvre littéraire qui fut à son origine. Au-delà de l'épuration du cadre narratif et verbal utilisé par le premier narrateur dans la nouvelle de Voiculesco - qui disparaît dans le film, car le film commence directement sur ce que relate le deuxième narrateur (auquel Pintilie donne le nom - comment aurait-il pu en être autrement?- de « capitaine Mitică; » ) -, dès la première page du texte et avec les premiers cadres du scénario, apparaît la volupté de la transfiguration audio-visuelle de la matière littéraire.
Ce qui frappe le plus, c'est l'expressivité des objets, l'expressivité des sonorités qui accompagnent ces objets et celle de la lumière qui les entoure, toujours fonctionnelles chez Pintilie jusqu'à ce que cela devienne un jeu second qui entre ainsi en concurrence avec l'épique, parfois même en se substituant à celui-ci, comme cela arrive dès la première page, où l'histoire commence avec la perception et l'évolution de la lumière: « Il fait encore nuit.(Générique) »; « à perte de vue on découvrira, dans la lumière de l'aube... »; « un piano-épave oublié là depuis la révolution ». Le narrateur, comme un pianiste dans un cinéma de quartier, illustre l'image du film muet qui se déroule devant lui.
Il me faudra faire court car, si je continue, je risquerais de concurrencer les dimensions du texte filmique. D'ailleurs, il ne s'agit pas que je montre du doigt les sens - qui peuvent être découverts en lisant le script, dans un raccord évident, avec des nouveautés de dernière heure - de ce film d'analyse morale et de ce « cinéma de croyance » que l'auteur pratique. D'une manière particulière, « La tête d'aurochs » reprend certaines lignes de force rencontrées déjà dans « Un été inoubliable » (où le cinéaste a réécrit le personnage de Petre Dumitriu), faisant référence au traditionnel espace militaire roumain, si ouvert à la sémantique en tant que spectacle intrinsèque mais aussi extériorisé.
Enfin, notons-le ici, tel que Pintilie l'avait annoncé il y a plusieurs mois dans une allocution au Collège la Nouvelle Europe, ce moyen-métrage sera le premier d'une suite. Les trois suivants seront aussi des retranscriptions du même Voiculesco, mais aussi de Dostoievski et Tchekov, pour ensuite créer par juxtaposition un long-métrage.
En conclusion, pour revenir au point de départ de cette « discussion », ce sont là les « co-scénaristes » de Pintilie, sa façon de travailler « en équipe », dans un compartiment à multiples spécialités distinctes, son génie le protégeant ainsi de tout contact avec les concepts et pratiques de la suffisance artisanale d'une époque révolue ou même nouvelle.
(Version française par Geta Rossier)